Par Cécile Asanuma-Brice, spécialisée en géographie urbaine, chercheuse associée au Clersé – Université de Lille I et au centre de recherche de la Maison franco-japonaise de Tokyo (1).
Trois années se sont écoulées depuis le tremblement de terre suivi d’un tsunami le 11 mars 2011, qui, faut-il le rappeler, a engendré un accident nucléaire majeur à la centrale de Fukushima Dai-ichi, dans le Nord-Est du Japon. Au cœur de la gestion post-catastrophe, c’est celle des hommes et de leur mobilité qui est en jeu.
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La population déplacée est donc notablement plus élevée que ce que les statistiques officielles laissent entendre. Comment le Japon a-t-il géré ses « réfugiés du nucléaire » ? Quelles sont les logiques nationales et internationales à l’œuvre derrière les politiques publiques en la matière ? C’est ce que nous allons tenter d’expliquer ici.
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Les enjeux de la catastrophe
Il est essentiel, lorsque l’on évoque la gestion des flux migratoires par un gouvernement et afin de comprendre ses choix, d’en appréhender la politique tant intérieure qu’extérieure. Or, parmi les plus grands paradoxes qui ont suivi la catastrophe dont il est question ici, se trouve la multiplication des accords internationaux en matière de nucléaire entre la France et le Japon (Mitsubishi et Areva notamment) pour la construction de nouvelles centrales nucléaires et l’exploitation de nouveaux gisements d’uranium (4), plus particulièrement en Asie. On notera par ailleurs – mais c’est sans doute une coïncidence – la première participation en juin 2014 du groupe Mitsubishi à Eurosatory, considéré comme le plus grand salon mondial de l’armement terrestre (5). Quelques mois plus tôt, dans une phase préparatoire, s’était tenue en décembre 2012, à Fukushima, la Conférence ministérielle sur la sécurité nucléaire. Des représentants de pays du monde entier y ont promis le développement de centrales désormais sûres et sans danger. La décision politique de poursuivre et de développer l’énergie nucléaire était prise au niveau international, requérant dès lors un retour à la normale des plus prompts et à moindre coût au Japon. Afin de concrétiser cette démarche, les outils élaborés par l’ICRP (International Commission on Radiological Protection), basés sur « les notions de doses collectives* et sur les analyses coûts-bénéfices », sont utilisés comme fondement des calculs de profitabilité en situation de risque. Selon cette institution, la gestion du risque relève d’une équation attribuant une valeur économique à la vie humaine, le calcul du coût de sa protection permettant de déterminer la rentabilité ou non de la mise en place de cette protection (6). Mais, comme le déclarait Jacques Lochard, membre du comité de l’ICRP et directeur du CEPN (Centre d’étude sur l’évaluation de la protection dans le domaine nucléaire) lors d’un entretien que nous avons mené en novembre 2013, « Ethos ne va jamais sans Thanatos (7) ». Le tout est de savoir de quel côté l’on souhaite faire pencher la balance ! Attribuer une valeur monétaire à la vie humaine matérialise certainement l’aboutissement le plus extrême de la tendance à l’objectivation de l’être (devenu objet) dans nos sociétés.
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